Variation sur le mouvement - être céramiste

Variation sur le mouvement - être céramiste

Le tournage est le mouvement de la pensée créatrice véhiculé par les mains.

Nous avons besoin de gens « qui pensent avec leurs mains, de penseurs qui aient les mains larges et dures ! Des mains faites pour prendre et peser. Des mains qui sachent, qui accomplissent et qui sculptent ; des mains qui créent. »


Penser avec les mains, Denis de Rougemont - Paris 1936

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Le terme de “tournage” nous invite déjà au mouvement ; à une danse en spirale dont le but est d’élever un amas d’argile en un objet utilitaire. L’outil utilisé s’appelle : un tour de potier. Autrefois il fallait le faire fonctionner à la force de nos bras ou nos pieds, avec un levier et la synergie de la force centrifuge. Aujourd’hui, il est électrique. 

Bien que le potier se retrouve en apparence statique derrière son tour, c’est toute une chorégraphie, à la fois interieure et extérieure, qui se développe, lorsque l’on tourne un bol, un vase, ou encore une théière.

Le plus important dans l’action de tourner une pièce, c’est le centrage de la terre. La balle d’argile doit impérativement être centrée au milieu de la girelle (tournette en métal sur laquelle on tourne l’objet souhaité et qui sera mise en rotation grâce à une pédale actionnée par le pied.) pour pouvoir passer à l’étape suivante : monter la terre et lui donner la forme de l’objet souhaité. Des gestes précis entrent en jeu pour cela. 

J’ai toujours remarqué la concentration pure et le plaisir du contact avec la terre chez mes élèves et notamment lors d’un premier cours. Le centrage demande une telle concentration que les ruminations mentales disparaissent. Oui, le tournage calme le mental car tout l’espace est occupé par le geste. Comme une machine à laver, le tournage nettoie votre mental et vous recentre en même temps que votre argile en devenir : il vous amène à la présence à soi. De même, la précision du geste agit comme une lame aiguisée venant affuter votre regard et votre présence sur l’action en cours.

Le tournage a souvent été comparé au yoga en ceci qu’il nous ramène à l’instant présent, à être conscient de sa posture et de sa respiration. Comme une méditation. Nous pourrions même nous poser la question suviante : le tournage nous amène-t-il à un état de conscience modifiée ?
J’ai souvent comparé le tournage à un art martial tel que l’aïkido qui est la voie de l’harmonie. Car il s’agit bien ici de trouver son centre, de rentrer en lui, de s’y connecter, par le geste ainsi que le mouvement rotatif de la girelle. C’est comme un transfert de l’harmonie de nos mains à la pièce en devenir.
Entre ensuite en jeu la technique. Chaque geste doit être répété des centaines de fois pour qu’il entre dans le corps et quitte la tête. Cela fonction lorsque l’on ne reflechit plus et que le geste s’inscrit seulement dans les mains. La répétition du geste amène directement à la connaissance de soi et l’acquisition d’une confiance en soi par la réalisation d’un objet du début à la fin. 

Au fil des années, le potier (amateur ou non, peu importe), acquiert ses propres gestes, sa propre chorégraphie, son propre langage. Je dis parfois en cours qu’il y a autant de façons de faire un bol que de potiers sur Terre. C’est pour cela que chaque potier a sa propre signature de geste, et ceux-ci rendent leurs pièces uniques, comme porteuses d’une petite part d’âme de celui qui les a façonnées.
Les possibilités thérapeutiques du tournage sont grandes et peuvent mettre en route le mouvement de vie présent en chacun de nous. Tout le processus de tournage d’un bol, par exemple, permet d’incarnet pleinement qui nous sommes dans notre corps et d’en prendre possession, au détriment des tracas du quotidien, de notre mental qui nous hante et qui bien souvent sont oubliés dans les cours dès les premières minutes.


Cependant tout n’est pas aussi magique qu’il n’y paraît. Essayez de tourner un bol l’esprit troublé, en colère, triste, avec une faibre estime de soi. Vous verrez que votre bol, si vous parvenez au bout, dégagera une aura bien médiocre. De surcroît, le processus de fabrication vous apparaîtra davantage comme une tâche à accomplir qu’une méditation profonde par les mains avec la terre !
J’ai cette sensation que le tournage nous demande une parfaite harmonie entre le mouvement de l’esprit et celui du corps et que si nous sommes capables d’entrer dans cette état de collaboration, d’équipe, entre le corps et l’esprit, alors, ce n’est pas seulement à la terre que nous allons donner forme, mais aussi à notre âme.

 

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